Le 26 novembre 2024, trois volontaires de Ouest-Est atterrissent à Rzeszow (se prononce « Jéchouffe »), dans le sud-est de la Pologne. L’un d’eux, Vincent, connaît déjà bien le pays pour y être allé plusieurs fois depuis une quinzaine d’années. Un autre, Léopold, chef de mission pour Ouest-Est, était déjà venu en août pour y chercher des contacts. Recherche fructueuse donc, puisque nos trois volontaires sont là pour retrouver les Filles de la Charité de la ville de Przeworsk (se prononce « Pchévorsque »), à une cinquantaine de kilomètres plus à l’Est, que Léopold avait rencontrées lors de son précédent voyage.
Elles sont deux à nous attendre dans le hall de l’aéroport : Sœur Joanna, directrice de l’établissement, et Sœur Kazimiera. Cette dernière a vécu quelque temps Rue du Bac à Paris, maison-mère des Filles de la Charité, et parle donc français. On découvrira pendant le séjour que c’était il y a presque 20 ans et qu’elle n’a quasiment pas parlé notre langue depuis : ses efforts sont touchants et son français est, vu les circonstances, admirable ! Heureusement, elle pourra se reposer en passant le relais à sa soeur Agnieszka, qui elle revient de plusieurs années au Cameroun. Nous aurons plusieurs fous rires en entendant cette petite religieuse polonaise s’exclamer « Oh mama mia ! » avec un accent africain !
Nous attendons notre troisième camarade, Clément, qui a déjà accompagné Léopold dans le Donbass un an plus tôt, à qui un malentendu entre nous a fait prendre un autre itinéraire, plus long de deux heures…
Nous en profitons pour faire connaissance avec les sœurs et discuter de notre programme : visite aux élèves de leur école maternelle à qui nous allons acheter du matériel éducatif, puis visite aux pensionnaires de leur maison de retraite, pour qui nous avons déjà financé l’installation de meubles dans plusieurs chambres, meubles qui sont en train d’être installés au moment où nous atterrissons. Un programme que nous avons volontairement voulu moins chargé que lors d’autres missions pour avoir plus de temps avec chacun : nous voulons vraiment prendre le temps de la rencontre, et pas seulement passer, déposer du matériel et repartir, comme il peut parfois être nécessaire de le faire par exemple dans le Donbass, où ce matériel est parfois vital. Rien de vital ici, même si, nous le verrons, les sœurs travaillent avec des moyens très limités. Mais il ne s’agit pas ici de visiter des gens qui manquent même d’eau potable ou de nourriture ; ici, il s’agit de faire vivre une amitié entre deux peuples européens, dont nous serons, nous d’un côté et les sœurs et leurs pensionnaires de l’autre, des ambassadeurs.
Dans l’église de la ville, nous confions nos rencontres à venir
Nous rejoignons Sœur Anna, qui nous attendait au volant de la camionnette de la Maison d’Assistance Sociale de Przeworsk. Sœur Anna est la directrice de l’école maternelle, qui accueille quatre classes d’une vingtaine d’élèves chacune. Ces enfants viennent de familles en difficulté, certains souffrent d’un handicap. Huit sont autistes et ne seraient accueillis dans aucune autre école. Nous nous arrêtons dans un grand magasin de jouets de Rzeszow. Sœur Anna nous avait envoyé une liste mais tout n’est plus disponible, il faut donc chercher des choses équivalentes. Les sœurs veulent nous laisser choisir, nous préfèrerions que ce soient elles, puisqu’elles connaissent mieux les besoins des enfants. Nous faisons des propositions, en espérant qu’elles oseront dire si ça ne correspond pas exactement à ce qui leur est utile. Finalement, nous remplissons trois grands chariots, pour un budget équivalent à celui qui avait été prévu sur la liste de Sœur Anna. Les sourires des sœurs nous rassurent : « Les enfants vont être tellement heureux ! », s’exclame Sœur Kazimiera.

Nous arrivons à Przeworsk, où les sœurs nous ont réservé des chambres dans une petite auberge à l’entrée de la ville, juste à côté d’un parc où on été regroupées de magnifiques vieilles maisons en bois, récupérées à différents endroits de Przeworsk avant qu’elles soient abattues pour laisser la place à des logements plus modernes – il en reste pourtant quelques unes dans la ville. Il est 16h environ, mais on nous propose de déjeuner. Premier contact avec la culture polonaise, où très souvent on se contente d’un en-cas vers midi pour prendre un vrai repas en fin d’après-midi, puis une soupe juste avant de se coucher. Précisons qu’à 16h la nuit est déjà en train de tomber… Les sœurs nous informent qu’elles vont rentrer chez elles préparer les jouets pour qu’on puisse les distribuer demain. Nous leur proposons de les accompagner dans cette tâche ingrate, la réponse est sans appel : « Non, reposez-vous, vous êtes sans doute fatigués ! » Certes, le réveil était un peu tôt ce matin, mais nous sommes là pour travailler ! Comme souvent, le sens de l’hospitalité des gens que nous venons aider fini par nous donner l’impression que nous prenons des vacances pendant qu’eux travaillent pour faire ce que nous pensions être venus faire. Parfois il faut forcer un peu, au risque de blesser nos hôtes. Ce que nous faisons en refusant qu’elles viennent nous chercher en voiture le lendemain matin : l’église de Przeworsk est visible depuis la porte de l’auberge, à quelques centaines de mètres à peine, et Léopold se souvient parfaitement que la Maison des sœurs est juste derrière. Nous imposons donc de nous y rendre à pieds par nos propres moyens. Bien entendu, le lendemain matin, Sœur Kazimiera viendra quand même nous chercher… à petits pas dans le froid.

Après le « déjeuner », nous décidons d’aller visiter la ville, et nos pas nous mènent naturellement vers l’église. Alors que nous passons devant la porte et que nous nous apprêtons à continuer notre chemin pour garder la visite de l’église pour le lendemain soir – nous sommes, effectivement, un peu fatigués –, un prêtre sort du presbytère voisin et nous fait signe d’entrer. Vincent rassemble les quelques connaissances qu’il a de la langue polonaise pour lui expliquer que nous sommes Français, que nous sommes venus visiter les sœurs, que nous pensions visiter l’église le lendemain, et « vous êtes sûr que vous ne parlez pas anglais ? » Il ne parle pas anglais, mais nous comprenons tous les trois qu’il nous invite à rentrer. Vincent abdique, nous aussi, et nous avançons notre visite à tout de suite. L’église est magnifique, le chœur richement décoré. Une quinzaine de fidèles finissent de réciter un chapelet, nous les accompagnons pour confier notre mission et nos rencontres à venir. Nous ressortons, finissons rapidement notre tour dans le centre : la ville n’est pas grande mais plutôt jolie. Elle sent le charbon, comme beaucoup de villes de l’Est quand il fait froid.
Retour à l’auberge, soupe du soir accompagnée de chou farci, délicieux l’un comme l’autre, et nous nous couchons tôt pour être d’attaque.
À la rencontre des enfants de l’école maternelle
Le lendemain matin sera dédié à la rencontre avec les enfants. Ces moments avec les plus petits sont toujours très touchants. À peine avons-nous franchi la première porte, celle des plus petits, les bras chargés de jouets, qu’un petit garçon saute dans les bras de Clément. Un regard – un peu humide – échangé avec Léopold : cette scène, ils l’ont vécue, presque exactement la même, dans un orphelinat de la région de Donetsk, un an plus tôt.

D’une classe à l’autre, le scénario est plus ou moins le même. Nous posons les cartons et les sœurs entament la discussion avec les enfants. Elles leur annoncent que nous venons de France, leur posent quelques questions sur notre pays, tous répondent bien sûr « la Tour Eiffel ». À leur tour de nous poser quelques questions, selon leur âge. Les uns chantent une chanson chorégraphiée, les plus grands nous présentent un superbe quadrille avec un sérieux très touchant. Puis nous nous asseyons ensemble autour des cartons et commençons à distribuer les jouets, au milieu des enfants qui crient de joie et ouvrent les boites avec plus ou moins de délicatesse. Et voilà nos trois grands gaillards allongés par terre pour jouer qui aux Lego, qui aux petites voitures, qui aux poupées. Le langage universel du jeu fait son office et nous voilà amis en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Nous essayons de passer un moment avec chacun, sous les regards amusés et émus des maitresses et des sœurs.
Nous finissons la matinée les coeurs pleins de souvenirs… et les bras emplis de cadeaux. Certains ont été préparés à l’avance par les enfants, avec leurs maitresses. D’autres ont été improvisés juste après notre passage dans la classe, comme ce grand dessin-bricolage d’un ange à la robe de fleurs surplombé d’un « MERCI », que tous les enfants d’une classe ont participé à réaliser et ont signé pour nous. L’ange est d’ailleurs censé nous représenter : « Vous êtes trois anges », nous dira une des sœurs sans la moindre trace d’humour. Trois anges presque deux fois plus grands et larges qu’elle, barbus, en tenue de travail… et un peu gênés. Nous acceptons néanmoins, puisqu’après tout les anges ne sont que des messagers, ce que nous sommes aussi, messagers de l’amitié des soutiens de Ouest-Est et à travers eux des Français, qui aiment la Pologne même s’ils ne le savent pas toujours.

Nous ne manquons pas une occasion de le rappeler : nous sommes ici en délégation, pas en notre nom propre mais pour représenter tous les Français. Nous insisterons d’ailleurs au moment de notre départ pour que le coeur qui sera collé sur le « panneau des bienfaiteurs » dans l’entrée de la maison comporte d’abord la mention « Association Ouest-Est » : c’est pour l’association que les sœurs prieront maintenant régulièrement.
« Merci d’être venus nous voir de si loin ! »
La Maison d’Assistance Sociale de Przeworsk accueille aussi une maison de retraite, que nous visitons avec Soeur Joanna, directrice de la Maison. Quelques jours avant notre arrivée, nous avons envoyé les fonds pour faire fabriquer et installer des meubles de toilette dans des chambres destinées aux personnes âgées. Le raccordement à l’eau courante est en train d’être finalisé sur la dernière alors que nous visitons les chambres. Dans un des deux lits de la chambre, les sœurs nous présentent « Madame Alina » : « Elle a quelque chose à vous dire, au nom de tous les pensionnaires ». Elle se lance, traduite par pour sœur Agnieszka qui peine à suivre le rythme : « Merci d’être venus de si loin, merci d’avoir aidé les sœurs à rendre notre quotidien plus confortable, pour que nous puissions faire notre toilette dans notre chambre, mais surtout merci d’être venus nous voir et pas seulement d’avoir envoyé de l’argent, ça nous fait très plaisir de voir que des Français se préoccupent encore de nous… » Clairement émue, elle nous raconte son histoire : elle est arrivée quelques mois plus tôt, sa famille ne pouvait pas s’occuper d’elle. Elle avait des escarres et était incapable de marcher. Elle souffrait aussi de douleurs terribles à toutes les articulations, ce qui l’empêchait de se servir de ses mains. Nous imaginons l’état dans lequel elle a dû arriver. Aujourd’hui, elle peut sortir de son lit seule, et avec de l’aide se rendre dans la salle commune, ce qu’elle fait une fois par jour. Mais surtout, elle a retrouvé l’usage de ses mains. Alors qu’elle nous parle, elle est d’ailleurs en train de tricoter des décorations pour Noël, dont elle est très fière.

Cette femme est un témoignage du beau travail que font les sœurs, avec un dévouement incroyable. Soeur Agnieszka nous le dira d’ailleurs pendant la visite : « Sœur Joanna a fait un énorme travail depuis qu’elle est arrivée à la Maison il y a 10 ans. Elle n’aimerait pas que je vous le dise, mais comme elle ne comprend pas ce que je dis, je suis libre de dire ce que je veux », ajoute-t-elle avec un clin d’oeil. De fait, la maison est propre et agréable. Un des couloirs est en travaux quand nous y passons. Soeur Joanna : « À chaque fois qu’on finit un chantier, il y en a un autre à lancer ailleurs. Ça ne s’arrête jamais vraiment ». En plus de l’entretien quotidien, les projets ne manquent pas. Les sœurs voudraient ainsi rénover un bâtiment au fond de la cour pour y installer un accueil de jour pour les personnes âgées de Przeworsk qui pourraient venir y passer la journée, y prendre un repas chaud, y voir un médecin. Un gros chantier auquel nous promettons de regarder comment nous pourrions participer à l’avenir.

Nous passons un long moment dans la salle commune de la maison de retraite, où une vingtaine des 43 pensionnaires passent le plus clair de leurs journées autour d’une longue table. Certains lisent, d’autres somnolent, d’autres enfin font des petits bricolages qui les aident à garder leur corps et leur esprit éveillés. Ces bricolages sont d’ailleurs exposés dans les couloirs, à la grande joie de leurs auteurs. Jelena, qui doit bien avoir 90 ans, annonce avec fierté qu’elle a fini son précédent tableau, un père Noël fait de centaines de petites boules de papier collées à un grand carton, en une semaine de travail à raison de plusieurs heures par jour.
Nous nous installons avec eux et travaillons ou discutons. Les compétences de Vincent en polonais sont mises à rude épreuve quand une des pensionnaires entreprend de vouloir le présenter à sa petit-fille, ou peut-être à sa nièce. Il s’en sort en entonnant un chant « À la Madone noire » : « Madone, Madone noire, Qu’il est bon d’être ton enfant ! Ô, Madone noire, laisse-moi me réfugier dans tes bras ». Plusieurs voix plus ou moins chevrotantes le rejoignent, les sourires ne laissent aucune place au doute : voir ce jeune Français chanter dans leur langue est une belle surprise pour ces Polonais âgés que la vie n’a pas épargnés.

Cette histoire difficile qu’ont eue plusieurs des pensionnaires de la Maison des sœurs, c’est aussi l’histoire de la Pologne, nous le toucherons du doigt à l’occasion d’une visite dans un musée de Przeworsk, dans la maison d’une des grandes familles de la ville. Une histoire qui a vu la Pologne être déchirée, découpée, martyrisée, effacée de la carte même pendant plus d’un siècle. L’histoire d’un peuple qui porte les souffrances de ses ancêtres. Un peuple de survivants. Un peuple aussi qui a longtemps porté à la France une réelle amitié : Bonaparte est ainsi cité en exemple dans l’hymne national polonais. C’est d’ailleurs à l’amitié entre Français et Polonais, amitié dont nous avons été un tout petit maillon pendant quelques jours, que nous dédierons ce séjour au moment de partir, en laissant ce mot dans le livre d’or du musée : « Merci pour cette belle visite. Vive l’amitié franco-polonaise ». Signé « Association Ouest-Est ».
Cette amitié, pour nous, a maintenant plusieurs noms : tous ceux que vous avez lus dans ce compte-rendu. Et pour les habitants de la Maison d’Assistance Sociale de Przeworsk, elle porte nos trois prénoms, collés au mur dans le couloir d’entrée de la maison, et le nom de notre association : « Stowarzyszenie Zachod-Wschod ».

Merci à tous ceux qui ont participé à rendre ce voyage possible ! Merci d’avoir participé à insuffler un peu de vie à cette amitié entre les peuples. Merci aussi à Edwige, donatrice de Ouest-Est, qui nous a ouvert son répertoire pour nous aider à élargir encore un peu plus notre champ d’action ! Nous continuerons de le faire en 2025 avec, nous l’espérons et nous y travaillons, d’autres voyages dans d’autres pays de l’Est de l’Europe. N’hésitez pas à nous y aider en nous trouvant des contacts prêts à nous accueillir !