Ouest-Est s’est donné pour mission de rapprocher l’Est et l’Ouest de l’Europe, c’est-à-dire plus concrètement d’aider les Français à aimer l’autre extrémité de leur continent. Et comment peut-on aimer quelque-chose qu’on connait si mal ? Les Français, c’est un fait, connaissent très mal ce qu’ils regroupent un peu trop rapidement sous le vocable des « pays de l’Est », qui sont à la fois si proches de nous et si différents, mais aussi si différents entre eux ! Nous avons donc décidé d’essayer de vous faire découvrir ces « pays de l’Est » ; rien d’encyclopédique, rien d’abstrait, mais au contraire des petites touches très concrètes qui vous (nous ?) donneront des éléments pour mieux découvrir ces pays : nous découvrirons ensemble telle danse traditionnelle, tel plat typique, tel chant folklorique, mais aussi tel restaurant, telle troupe ou telle cave qui vous permettront ici en France d’aller découvrir tout ça par vous-même.
Nous espérons que ces articles vous plairont et vous donneront envie d’aller rencontrer ces voisins qui ont tant à nous offrir !
Shant Zandourian est Français d’origine arménienne. Il tient la cave Kenats, dans le XVe Arrondissement de Paris, où il vend des vins et des spiritueux qu’il va lui-même chercher dans son pays d’origine. Il a accepté de nous en dire plus sur l’histoire du vin en Arménie.
Shant Zandourian, bonjour. Pouvez-vous nous raconter comment vous en êtes venu à ouvrir une cave proposant uniquement des vins arméniens en France ?
Je suis né en France, de parents Arméniens nés en Iran et au Liban. Si la culture arménienne a toujours eu une place importante dans notre famille, je ne suis allé pour la première fois en Arménie qu’à 14 ans : nous n’avons plus de famille directe là-bas et ce premier voyage était donc compliqué à faire plus tôt. Ensuite nous y sommes retournés souvent, en famille d’abord puis moi de mon côté.
Le vin, c’est beaucoup plus récent pour moi. Avant, je travaillais dans la communication, puis j’ai décidé de changer de voie et de partir dans le vin, j’ai fait une formation de sommelier. Mon objectif était avant tout de revenir à un métier plus concret, plus proche de la nature. Mais assez rapidement je me suis dit que ça serait bien si j’arrivait à conjuguer ça avec mon amour pour ma culture, si mon métier me permettait aussi d’être à mon niveau utile à ce pays que j’aime et dont je viens.
J’ai rapidement constaté que le marché du vin arménien était quasiment inexistant en France : il n’y avait pas de cave, pas de propositions dans les restaurants, pas grand-chose. J’ai trouvé assez triste qu’il n’existe pas de ponts entre ces deux grands pays de vin que sont la France et l’Arménie. Et surtout, je me suis dit que si le marché s’ouvrait énormément sur les vin « du nouveau monde » (Australie, US, Afrique du Sud…), il n’y avait pas de raisons pour qu’il ne puisse pas aussi s’ouvrir sur l’ancien monde…
En effet, l’Arménie a une place particulière dans l’histoire du vin…
Oui, toute cette région du Caucase est le berceau du vin. L’Arménie occupe une place importante dans cette histoire puisque c’est là qu’on a découvert en 2007, dans une grotte du village d’Aréni, dans la région de Vayots Dzor, au Sud de la capitale Erevan, des jarres remplies de raisin datant de 6000 ans. Une seconde campagne de fouilles en 2010 a mis au jour un fouloir, une cuve de fermentation, des sarments de vigne desséchés. La légende dit que c’est Noé qui a planté une première vigne dans cette région après que son arche s’est échouée sur la mont Ararat voisin. Quoi qu’il en soit, du vin est fabriqué en Arménie depuis au moins 8000 ans, ce qui est exceptionnel.
« Certains domaines ont pu faire revivre des cépages presque disparus, qu’on ne trouve que dans ces régions… »
Shant Zandourian
Pour quelles raisons un Français amateur de vin devrait-il acheter des vins venant d’Arménie ? Qu’y trouvera-t-il qu’il ne trouvera pas dans un vin venant de France ou de destinations plus classiques, plus connues ?
Tous les vins que je vends, que j’ai sélectionnés personnellement en me rendant dans de nombreux domaines un peu partout en Arménie, sont issus de cépages endémiques arméniens, c’est-à-dire des variété de raisins qui viennent d’Arménie. En effet, le monde du vin en Arménie a été très abimé par le communisme, quand l’Union soviétique a décidé que ça serait la Géorgie et elle seule qui ferait du vin, dans le cadre de la planification. Tout s’est effondré, et il a fallu tout reconstruire à la chute de l’Union soviétique. Pour ça, de nombreux cépages occidentaux ont été apportés, pour replanter de grandes quantités de vignes ; mais le problème est que ça faisait des vins semblables à ceux qu’on trouvait en France, en moins bon. Heureusement, certains domaines ont pu faire revivre des cépages presque disparus, adaptés au pays et qu’on ne trouve que dans ces régions.
En plus de ça, le climat et la géographie de l’Arménie apportent d’autres nuances à ces vins : globalement, on a des vins d’altitude, donc très frais, mais qui sont aussi très solaires (on compte entre 200 et 280 jours de soleil par an), donc assez fort en alcool. Frais + forts en alcool, c’est un mélange original qui a beaucoup de caractère. Et certains domaines ajoutent à ceci des terres volcaniques, qui ajoutent beaucoup de minéralité au mélange, avec des goûts très définis.
Je suis convaincu qu’un Français amateur de vin trouvera chez nous des choses qui pourront satisfaire sa curiosité, des choses qu’il n’aura pas goutées ailleurs. D’autant plus que nous avons en boutique un éventail assez varié : nous proposons environ 70 vins, qui sont tous vraiment distincts les uns des autres.
Sur une touche plus triste… L’Arménie souffre d’un conflit qui semble s’éterniser. Cette guerre a-t-elle un impact sur votre activité ?
D’abord, cette guerre me touche évidemment personnellement, en tant que Français d’origine arménienne. Je suis révolté, triste, blessé par le silence de la France. La vieille amitié franco-arménienne semble être oubliée. C’est très dur à vivre je pense pour tous les Arméniens qui vivent en France, qui aiment ce pays autant que celui d’où ils viennent…
Sur le plan professionnel, ça a un impact aussi, bien sûr. Un des domaines avec lequel je travaille se trouve en Artsakh ; le vigneron a perdu son chais, qui a été détruit par les Azéris, il a dû tout laisser sur place. Il continue à travailler ailleurs en Arménie. En 2021, ils avaient pu récolter là-bas et vinifier ailleurs, ils ont fait une cuvée que nous avons à la cave, ce dont je suis très fier : c’est un cépage endémique d’Artsakh, un très bon vin. Mais depuis, il est impossible de cultiver la vigne. C’est terrible pour énormément de personnes qui vivent grâce à ces vignes, pas seulement le domaine lui-même.
J’ai un autre partenaire en Artsakh, qui a décidé de rester sur place et de continuer à travailler, mais le blocus l’empêche de sortir sa production. On ne sait pas comment ça va évoluer, c’est terrible à vivre…
Et plus généralement, on ne sait pas ce qu’il va advenir de l’Arménie. On sait bien que certains aimeraient la faire disparaître, depuis longtemps. Dans ce cas, même si ce n’est évidemment rien à côté du drame que ça serait, que devrai-je faire ? On garde toujours ça dans un coin de l’esprit… En attendant, on continue de faire ce qu’on peut pour aider autant qu’on le peut.
Et nous, comme Français, que peut-on faire pour aider l’Arménie ?
Je ne saurais trop vous conseiller d’acheter leur vin, par exemple en venant à la cave ! Blague à part, c’est bien sûr déjà une aide, puisque ça contribue à donner du travail à des gens là-bas. Et servir un vin d’Arménie à un repas peut être l’occasion de rappeler la situation dans laquelle se trouve le pays. Ce n’est pas grand-chose mais plus on parlera de l’Arménie mieux ça sera…
Sinon, si vous aimez vraiment le vin et ce qui tourne autour, il y a quelques propositions de tourisme viticole en Arménie. Un voyage dans différents domaines est une autre façon de soutenir la filière, et peut être passionnante pour un amateur éclairé. Bien sûr, il y a d’autres choses à voir en Arménie, mais je plaide pour ma boutique, évidemment !
Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré !
Merci à vous, n’hésitez pas à passer à la cave bientôt !
Retrouvez Kenats sur leur site et au 69 bis Rue Brancion, 75015 Paris.
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