Ouest-Est s’est donné pour mission de rapprocher l’Est et l’Ouest de l’Europe, c’est-à-dire plus concrètement d’aider les Français à aimer l’autre extrémité de leur continent. Et comment peut-on aimer quelque-chose qu’on connait si mal ? Les Français, c’est un fait, connaissent très mal ce qu’ils regroupent un peu trop rapidement sous le vocable des « pays de l’Est », qui sont à la fois si proches de nous et si différents, mais aussi si différents entre eux ! Nous avons donc décidé d’essayer de vous faire découvrir ces « pays de l’Est » ; rien d’encyclopédique, rien d’abstrait, mais au contraire des petites touches très concrètes qui vous (nous ?) donneront des éléments pour mieux découvrir ces pays : nous découvrirons ensemble telle danse traditionnelle, tel plat typique, tel chant folklorique, mais aussi tel restaurant, telle troupe ou telle cave qui vous permettront ici en France d’aller découvrir tout ça par vous-même.

Nous espérons que ces articles vous plairont et vous donneront envie d’aller rencontrer ces voisins qui ont tant à nous offrir !

Quand on pense à l’orthodoxie, on pense souvent très rapidement aux icônes. En effet, elles sont centrales dans la vie chrétienne orthodoxe, alors qu’elles ont quasiment disparu du quotidien des catholiques. Pour les chrétiens de l’Est de l’Europe, ces icônes ont une fonction bien différente de celle de l’art religieux en occident. Nous en avons parlé avec le Père Maciej Leszczynski, prêtre orthodoxe polonais en France et iconographe.

Mon Père, vous êtes iconographe et professeur d’iconographie à l’école de la cathédrale Alexandre Nevski à Paris. Pouvez-vous nous parler de la place de l’icône dans la spiritualité orthodoxe ?

Les icônes sont nées de la spécificité de la religion chrétienne par rapport aux spiritualités qui l’ont précédée : celle de l’incarnation. Le Christ, vrai Dieu, s’est fait chair. C’est une nouveauté incroyable, qui développe un rapport au monde où la référence à l’invisible et à l’éternel occupe une place centrale. Dans ce contexte, les icônes, considérées comme véritables lieux de présence et de manifestation de l’invisible, et non pas seulement comme sa représentation, ont joué un rôle très important dans le culte officiel en même temps que dans la piété populaire.

Pour les premiers ascètes chrétiens, « la vision de Dieu » désigne l’état le plus élevé de l’âme. Elle est l’union parfaite avec le créateur. C’est cette vision de Dieu que les icônes veulent offrir aux fidèles. Elles sont une fenêtre sur l’invisible, en ce qu’elle permettent à l’âme de celui qui le regarde et les médite de s’approcher de cet invisible. La langue et l’intelligence humaine sont très limitées face à ce mystère qui nous dépasse largement. L’icône est une manière de rendre visible ce qui est invisible pour nos yeux et d’exprimer ce que la parole ne parvient pas à exprimer.

 

« Nous voulons apprendre à nos étudiants à renoncer à eux-mêmes pour se plonger dans la Tradition vivante et se mettre au service de la communauté chrétienne. »

Maciej Leszczynski

L’écriture de ces icônes est très codifiée par la Tradition, au sens spirituel du terme. Elle n’est pas destinée à évoluer puisque Dieu est immuable. Y a-t-il malgré cela dans le monde orthodoxe différents « styles » d’iconographie ?

Bien sûr ! Bien qu’inspirée par l’Esprit Saint, l’écriture de l’icône reste le fait d’êtres humains, qui sont donc influencés par ce qui les entoure, leur époque, leur pays, etc. En se diffusant, l’écriture des icônes s’est donc bien différenciée, mais c’est resté assez léger pendant des siècles parce que ces évolutions se faisaient très lentement. À cette époque, l’individu se fondait dans le groupe. L’iconographe se coulait dans ce qui lui pré-existait. Souvent, même, les iconographes travaillaient en équipes, sous les ordres d’un maitre par exemple.

Aujourd’hui, c’est différent : il y a une volonté de se démarquer, de montrer sa personnalité. C’est présent dans toute notre société, et bien entendu ça n’épargne pas les iconographes. De plus, aujourd’hui on a accès à tout ce qui se fait et s’est fait depuis le début : d’abord dans des livres de photos, puis encore plus sur Internet, chacun peut découvrir ce qui s’est fait il y a plusieurs siècles à l’autre bout du monde orthodoxe, en même temps que ce qui se fait maintenant au bout de sa rue. Et chacun choisit dans tout ça en fonction de sa sensibilité, de sa personnalité.

Ce phénomène a aussi été accentué par une baisse de la pratique de l’iconographie – et de la pratique religieuse en général – dans les pays communistes. Pendant plusieurs décennies, cette pratique a parfois quasiment disparue. Elle a ensuite été redécouverte à la chute du communisme. En Russie par exemple, il y a eu soudain une demande énorme : entre 1990 et 2010, il y a eu 1000 églises construites chaque année. Ces églises, il fallait les peindre et les fournir en icônes. Des artistes classiques ont commencé à peindre des icônes parce que c’était un moyen de s’assurer un revenu. Mais ils n’avaient pas nécessairement la formation et la vie spirituelles qui sont normalement liées à l’écriture d’icônes.

La Roumanie a connu quelque chose de semblable. Dans mon pays, la Pologne, ça a été moins marqué : le besoin était moins important, et il y a rapidement eu un mouvement de restructuration de l’iconographie qui a recréé ce lien entre écriture et vie spirituelle. Il y a un documentaire sur le sujet, avec des sous-titres en français, disponible sur Youtube [nous mettons la vidéo ci-dessous]

C’est ce que notre école d’iconographie située dans l’enceinte de l’église Saint-Alexandre-Nevski à Paris [Image ci-dessous] essaie de faire : nous voulons apprendre à nos étudiants à renoncer à eux-mêmes pour se plonger dans la Tradition vivante et se mettre au service de la communauté chrétienne.

L’Église orthodoxe polonaise fête cette année les 100 ans de son autocéphalie. La Pologne est spontanément plus vue comme un pays catholique, notamment depuis Jean-Paul II. Comment cela se passe-t-il ?

Il y a toujours eu une présence orthodoxe en Pologne. Ça n’a pas toujours été facile. Au siècle dernier, il y a eu des tentatives de conversion massive au catholicisme, parfois par la force. Après la première Guerre mondiale, au moment de l’indépendance de la Pologne, la cathédrale orthodoxe Saint-Alexandre-Nevski à Varsovie a été détruite, rasée jusqu’au sol : pour certains, elles était un souvenir de l’occupation russe. On la voyait depuis toutes les extrémités de la ville… Notons que de nombreux catholiques se sont aussi élevés contre cette destruction. Plusieurs dizaines d’église orthodoxes ont ainsi été détruites.

L’église Saint-Alexandre-Nevski à Paris.

La situation reste parfois tendue, plus ou moins selon les régions. Dans certains endroits il existe encore une rivalité très forte entre orthodoxes et catholiques. Si les catholiques ont trois églises dans une ville et les orthodoxes deux, alors ceux-ci vont essayer d’en construire une troisième. Les offices orthodoxes sont majoritairement célébrés en slavon, pas en polonais. Il n’y a pas si longtemps, le gouvernement a réduit le temps de présence de l’orthodoxie à la télévision nationale. Heureusement, il y a aussi de très belles choses qui se font dans la coopération entre les deux Églises ; l’Église catholique fait par exemple un énorme travail de traduction de livres de théologiens orthodoxes.

Mais il est vrai que l’Église orthodoxe est souvent vue comme vassale de la Russie, ce qui entretient certaines rancoeurs. Pourtant, l’Église orthodoxe polonaise s’est clairement prononcée contre la guerre en Ukraine : il nous était impossible de voir deux peuples frères orthodoxes s’entretuer. Et très souvent, l’Église polonaise essaie de jouer un rôle d’artisan de paix dans les tensions entre les différentes Églises. Notre habitude de cohabiter avec l’Église catholique a évidemment quelque-chose à voir avec ça.

Photos par Louis Jamin.