Mai 2023. Depuis plusieurs mois, Ouest-est se prépare à repartir dans le Donbass auprès de populations civiles qui subissent la guerre depuis 2014. Plusieurs fois, ce voyage a dû être repoussé et les volontaires rongent leur frein. Soudain, mi-mai, une fenêtre s’ouvre : un départ est possible ! En quelques jours, l’équipe se constitue, les bagages sont faits, les billets pris, un planning mis en place en lien avec nos contacts sur place… et nous partons !

Nous arrivons samedi 20 mai à Donetsk, après deux jours de voyage relativement épuisants en avion, en train et en voiture. Le lendemain matin, nous assistons à la divine liturgie ; nous confions notre mission, les gens que nous allons rencontrer, ceux qui nous permettent de venir ici, et bien sûr nous prions pour la paix, ici et ailleurs.

Puis nous allons faire des courses : nous achetons de la nourriture, des produits d’hygiène et d’entretien, des couches et des jouets. Ces achats sont faits en fonction des besoins que l’association avec qui nous travaillons a recencés au cours des dernières semaines.

Nous partons pour Volnovakha, ville ravagée par d’intenses combats l’année dernière. De nombreux immeubles sont détruits. À une vingtaine de kilomètres de là, à Ugledar, les combats font toujours rage ; pendant la distribution, on entend les explosions au loin. Là-bas la guerre, ici la joie : nous distribuons à quelques dizaines de familles des colis d’urgence contenant du sel, de l’huile, du savon, quelques produits d’entretien. Toutes ces choses manquent cruellement au quotidien, et ces colis sont accueillis avec de grands sourires qui réchauffent le coeur et font un instant oublier la situation. Les enfants reçoivent des jouets, que les plus jeunes déballent immédiatement avec de grands cris ; les plus grands ont la joie plus discrète mais leurs yeux pétillants ne trompent pas. À l’hôpital de la ville, qui vient d’être reconstruit après avoir été détruit pendant les combats, nous déposons plusieurs centaines de litres de produits d’entretien ainsi que plus d’un millier de couches pour enfants et personnes âgées.

Alors que nous prenons des photos des immeubles détruits, un groupe de jeunes miliciens s’approchent, méfiants, et nous demandent ce que nous faisons. L’ambiance change dès que nous annonçons que nous sommes des Français venus apporter de l’aide humanitaire : les armes tombent, les sourires apparaissent, et nous discutons un bon moment de la situation. C’est révélateur de l’ambiance qui règne dans plusieurs des endroits que nous visiterons : la tension de la guerre est toujours bien présente et il convient de rester délicats, mais une fois qu’on a montré patte blanche et que nos intentions sont bien comprises, les choses se détendent très vite et l’ambiance devient clairement joyeuse, malgré les bruits de la guerre qu’on entend presque toujours.

À Donetsk, une aile entière d’un hôpital détruite

Les quatre jours suivants ressembleront beaucoup à ce premier jour : les mêmes sourires illuminant les mêmes visages tirés par l’angoisse de ces longues années de guerre ; les mêmes cris de joie d’enfants découvrant leurs nouveaux jouets ; les mêmes mercis d’équipes soignantes travaillant avec une générosité folle dans un dénuement presque complet, parfois au milieu des ruines. Avec quelques moments marquants.

À Donetsk, dans un des deux hôpitaux où nous livrons du matériel médical, une femme s’effondre en larmes presque dans nos bras. Sa maison a été pulvérisée la veille lors d’un bombardement : il n’en reste plus rien. Elle s’excuse presque de pleurer, explique qu’elle a encore sa famille vivante auprès d’elle, que d’autres n’ont pas eu cette chance. Quand on lui demande pourquoi elle est à l’hôpital, elle répond, comme si c’était un simple détail, que son fils a dû être amputé de la jambe… On s’habitue à tout, même à l’horreur… Nous repartons avec une boule au ventre, et une liste de choses dont elle a besoin en urgence, que nous lui ferons parvenir dès le lendemain.

À côté d’un autre hôpital, les restes d’une roquette. Son explosion a explosé toutes les vitres de l’aile la plus proche. Nous achetons deux systèmes de climatisation pour les salles d’opération, ainsi que plus de 1000 litres de produits d’entretien et de nettoyage, un ordinateur portable et des cafetières pour essayer d’améliorer le quotidien de l’équipe qui continue son travail dans un bâtiment dont une aile entière est condamnée.

Au marché de Donetsk, que nous connaissons bien pour y être allés presque tous les ans depuis 2015, l’ambiance a complètement changé depuis notre dernier passage. Un mois plus tôt, le marché a été bombardé ; de nombreuses personnes ont été blessées et une tuée. Les stigmates de cette attaque sont encore visibles. Les années précédentes, ce marché était plein de vie, d’appels, de discussions ; cette fois-ci, l’ambiance est pesante, les clients sont beaucoup moins nombreux et semblent faire leurs courses le plus rapidement possible… Pourtant, dans le reste de la ville, nous trouvons au contraire l’ambiance plus sereine. Les magasins sont ouverts, il y a du monde dans les rues, et pas seulement des hommes en uniforme. Des familles se détendent sur le pas de leur porte. Mais plus on s’éloigne de Donetsk, plus l’ambiance se tend.

Dokuchaievsk se trouve à une vingtaine de kilomètres du front. Pendant plusieurs années, ce village s’est trouvé dans le no man’s land entre les lignes. Là aussi, nous venons en aide à l’hôpital, lui aussi très abîmé. Nous sommes accueillis par le père Nikita dans la maison de la paroisse. Il nous raconte le quotidien de ses fidèles depuis le début de la guerre en 2014. Nous donnons de nombreux cadeaux aux enfants, ainsi que du matériel sportif pour la paroisse. Une jeune fille nous joue un morceau au piano. Puis le père Nikita sort une magnifique vieille à roue et nous chante un air en l’honneur de la Vierge. Il nous fait visiter l’église, miraculeusement intacte, puis nous bénit avant que nous partions.

Au sol, des petites bombes faites pour estropier

Pour le dernier jour de mission, nous embarquons dans une camionnette blindée de 4 tonnes. En effet, nous nous rendons à Gorlovka, à à peine 10 kilomètres du front, non loin de Bakhmut. Nous distribuons des médicaments à l’hôpital et des jouets à des enfants sous tutelle. Pendant la distribution, de nombreuses explosions se font entendre, plus près que les jours précédents. L’une d’elles est à quelques pâtés de maisons de là où nous nous trouvons. L’explosion blesse assez gravement une jeune fille qui marchait dans la rue. Couverte de sang, elle est emmenée par une ambulance au milieu des cris et des pleurs ; nous apprendrons avec soulagement à la fin de la journée que sa vie n’est pas en danger.

Sur le chemin du retour, nous décidons d’un crochet vers Iatsenovata. Alors que nous passons près de Panteleimonivka, nous apprenons qu’un bombardement vient de frapper cette petite ville… Iatsenovata est une ville fantôme. Quelques dizaines de familles y vivent encore, dans les ruines de leurs maisons et immeubles. Le sol est jonché de débris, de béton, de verre, d’éclats de roquettes. Deux d’entre elles ont touché deux jours plus tôt des immeubles civils. On nous demande de suivre scrupuleusement nos guides pour ne pas marcher sur les mines papillon qui sont larguées par les airs et attendent au sol, ici ou là, le contact qui fera exploser leur petite charge, destinée non pas à tuer mais à estropier : le but est de démoraliser les civils… Pas de bombardements pendant notre passage, mais nos guides scrutent le ciel avec angoisse : des drones viennent régulièrement faire des incursions et larguer une grenade. Juste assez pour maintenant la ville dans une tension permanente.

Nous repartons bien vite de cet enfer, à toute vitesse sur les routes défoncées, en nous demandant comment les gens qui vivent ça au quotidien pourront un jour se remettre de ces semaines, de ces mois d’angoisse…

Ainsi s’achèvent ces cinq jours de mission auprès des civils du Donbass. Cinq jours pendant lesquels nous avons distribué plus de matériel qu’à aucune de nos missions précédentes, ce qui est une belle victoire. Cinq jours aussi pendant lesquels nous avons consolidé notre réseau sur place afin de pouvoir revenir plus rapidement, afin aussi de pouvoir apporter plus d’aide au quotidien entre nos voyages. Une magnifique mission donc pour nous, pour laquelle nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont soutenus pendant cette année compliquée pendant laquelle nous ne savions pas quand nous pourrions repartir. Votre confiance en nous n’a pas baissé et nous en sommes très honorés.

Merci à tous et à bientôt !

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