Ouest-Est s’est donné pour mission de rapprocher l’Est et l’Ouest de l’Europe, c’est-à-dire plus concrètement d’aider les Français à aimer l’autre extrémité de leur continent. Et comment peut-on aimer quelque-chose qu’on connait si mal ? Les Français, c’est un fait, connaissent très mal ce qu’ils regroupent un peu trop rapidement sous le vocable des « pays de l’Est », qui sont à la fois si proches de nous et si différents, mais aussi si différents entre eux ! Nous avons donc décidé d’essayer de vous faire découvrir ces « pays de l’Est » ; rien d’encyclopédique, rien d’abstrait, mais au contraire des petites touches très concrètes qui vous (nous ?) donneront des éléments pour mieux découvrir ces pays : nous découvrirons ensemble telle danse traditionnelle, tel plat typique, tel chant folklorique, mais aussi tel restaurant, telle troupe ou telle cave qui vous permettront ici en France d’aller découvrir tout ça par vous-même.

Nous espérons que ces articles vous plairont et vous donneront envie d’aller rencontrer ces voisins qui ont tant à nous offrir !

Dubravka Stijovic est la présidente de Izvor Paris. À l’occasion des 20 ans de l’association, nous l’avons appelée pour qu’elle nous parle de Izvor, bien sûr, mais aussi de la danse traditionnelle serbe. Enfin, plutôt « des danses traditionnelles serbes ». Mais laissons-la vous expliquer tout ça !  

Dubravka Stijovic, bonjour ! Izvor Paris, qu’est-ce que c’est ?

Bonjour ! Izvor Paris, c’est d’abord une association qui regroupe des danseurs, des chanteurs et des musiciens qui se retrouvent autour de la culture serbe. L’association est basée à Paris, dans le XVIIIe arrondissement, et fête ses 20 ans en 2024.

Elle a été créée pour transmettre cette culture serbe aux membres de la diaspora serbe en France, mais aussi pour la faire découvrir à tous ceux qui le souhaitent. Nous sommes très heureux de compter aujourd’hui dans nos rangs plusieurs danseurs, musiciens et chanteurs qui n’ont aucun lien de sang avec la Serbie, ni même avec les Balkans ; tous sont bienvenus dans la grande famille « Izvor Paris » et certains en sont même devenus des piliers.

Nous comptons autour de 200 membres. Nous avons 6 groupes de danseurs, répartis par âges. Nous avons ouvert le dernier en septembre 2023, pour les plus âgés qui souhaitent découvrir la danse serbe : le plus jeune de nos danseurs a 5 ans, le plus vieux une soixantaine ! C’est pour ça que je parle d’une grande famille : tous les âges sont représentés, et tous voyagent ensemble pour certaines représentations.

Justement, dans quels cadres présentez-vous votre travail au public ? 

Nous avons la chance et le plaisir d’aller nous produire un peu partout en France, assez régulièrement. Nous participons à de nombreux événements de la diaspora serbe, à Paris bien sûr mais aussi ailleurs en France. Nous répondons aussi aux invitations qui nous sont faites par d’autres : nous avons par exemple participé en octobre dernier aux fêtes des vendanges à Montmartre, et nous avons aussi chanté à l’Unesco pour les journées de la francophonie. Enfin, nous voyageons une fois par an au moins à l’étranger, pour participer à des festivals de danse, en Espagne, en Italie, en Tchéquie, etc.  

 

« L’Histoire très riche et mouvementée des Balkans se retrouve toute entière dans les danses traditionnelles des différentes région de la Serbie. »

Dubravka Stijovic

Que pouvez-vous nous dire sur la danse traditionnelle serbe, à nous qui n’y connaissons rien ?

La première chose qu’il faut savoir, c’est qu’il n’y a pas, justement, une danse traditionnelle serbe, mais une multitude de danses serbes. La Serbie est un grand pays situé au centre des Balkans, une région où les populations ont toujours été brassées et où les influences extérieures ont été très nombreuses. Toute cette histoire très riche – hélas souvent douloureuse aussi – se retrouve dans les danses, qui peuvent être très différentes d’une région à une autre. Quelques exemples : le Nord de la Serbie a été longtemps sous l’influence des pays de l’Ouest de la Serbie ; on y danse beaucoup plus en couple que dans les autres régions de la Serbie, où on danse plus en groupes. Dans cette région de plaine au climat assez doux, on portait des vêtements plus légers : la danse se concentre beaucoup sur des petits pas très vivants, parce que les robes laissaient voir les pieds.

Dans l’Ouest de la Serbie, quand on se rapproche de la Croatie et du Monténégro, on trouve des danses beaucoup plus strictes, le corps est plus rigide, on sourit peu. Ce sont des peuples montagnards et guerriers, plus rustiques. Une des danses de cette région se danse même sans musique, juste avec le rythme des pieds des danseurs.

De l’autre côté, près de la Roumanie, ce sont des danses très agressives, où on tape beaucoup des pieds. Au Kosovo, les costumes et les danses sont très marqués par l’influence turque, ce qui n’est pas étonnant puisque le Kosovo a été occupé par les Ottomans pendant 500 ans. En Métochie, c’est-à-dire dans l’Ouest de ce qu’on appelle aujourd’hui le Kosovo, c’est l’influence albanaise qui se fait ressentir, notamment là aussi dans les costumes.

En règle générale, la danse et le costume sont très liés, ce qui est assez logique : on ne peut pas danser de la même façon avec des robes courtes et des robes longues, avec des vêtements légers ou des vêtements épais. Il est impossible par exemple de danser la danse du Nord de la Serbie avec les costumes de Métochie, ça n’aurait aucun sens, on ne verrait plus du tout la richesse et la vie des pas, ça serait du gâchis.

Ce qui veut dire que quand on change de danse, on doit aussi changer de costume… Comment faites-vous pour vous procurer les costumes dont vous avez besoin pour vos spectacles ?

En effet, il faut changer souvent ! C’est quelque chose qui surprend parfois les troupes d’autres pays avec lesquelles nous dansons. Nous sommes très proches par exemple de troupes portugaises, qui s’en amusent beaucoup : eux n’ont besoin que d’un seul costume pour tout leur spectacle, nous devons arriver avec des valises entières, et presque changer entre chaque numéro !

Bien sûr, trouver ces costumes prend du temps : heureusement, nous avons commencé il y  a 20 ans, si bien qu’aujourd’hui nous avons déjà une belle collection. Nous continuons à l’enrichir régulièrement, soit en complétant ce que nous avons déjà, soit en cherchant de nouveaux costumes que nous n’avons pas encore du tout quand nous voulons apprendre des danses de régions que nous n’avons pas encore en réserve. À chaque voyage en Serbie, nous gardons l’œil ouvert et si nous voyons des choses qui pourraient nous servir, nous les achetons. Sinon, nous pouvons aussi commander des éléments de costume à des fabricants en Serbie. Par exemple, une année nous achèterons une trentaine de ceintures et de paires de chaussettes, puis l’année d’après les hauts des costumes de femmes, etc. Ça prend beaucoup de temps, mais ça vaut vraiment le coup : tous ces costumes sont tellement magnifiques !

Vous avez commencé cet échange en répondant que Izvor, c’est « d’abord » une association culturelle… Mais alors, qu’est-ce que c’est d’autre ? 

En effet, merci de l’avoir noté ! Izvor a aussi un volet humanitaire, qui nous tient vraiment à cœur depuis que nous l’avons mise en place il y a 15 ans. Elle est menée par le groupe “Sva srca za srce Srbije”, ce qui signifie “Avec le cœur, pour le cœur de la Serbie”. “Le cœur de la Serbie”, c’est le Kosovo-Métochie, terre serbe où les Serbes vivent aujourd’hui minoritaires, dans des conditions très difficiles. Pour les Serbes, où qu’ils vivent, le Kosovo-Métochie est une terre sainte : on y trouve de nombreux monastères parmi les plus importants de l’orthodoxie serbe et s’y sont déroulés plusieurs événements fondateurs de l’identité serbe. C’est pour ça que nous avons décidé d’aller aider les Serbes qui y vivent, autant que nous le pouvons. Une grande partie de ce que nous gagnons grâce à nos représentations est dédiée à ça. Chaque année, nous versons des bourses à plusieurs familles, sélectionnées avec l’aide des moines du monastère de Visoki Decani, en Métochie. Il y a deux ans, nous avons aussi financé par exemple la construction d’un terrain de jeux pour les enfants de l’enclave d’Osojane, qui est un des villages serbes les plus isolés du Kosovo-Métochie. 

Cette année, nous allons franchir un nouveau pas dans ce domaine, en accueillant en France plus de 50 jeunes serbes de 12 à 14 ans qui vivent dans les enclaves du Kosovo-Métochie. Ils viendront au début de l’été visiter la France, découvrir Paris. Ils vivront dans les familles de nos membres pendant une semaine dont ils se souviendront longtemps, sans aucun doute : pour beaucoup, ça sera la première fois qu’ils quitteront la Serbie ; certains même ne sont encore jamais sortis de leur enclave ! Il ne fait aucun doute que ça sera un moment très émouvant pour nous aussi. Si ça se passe comme nous l’espérons, nous essaierons ensuite de faire ce genre de chose régulièrement.

Nous l’avons dit, vous fêtez vos 20 ans cette année. Comment cela va-t-il se passer ? 

Nous organisons depuis plusieurs mois déjà une grande soirée qui retracera toute notre histoire. Elle se déroulera le 11 mai à Paris, au Théâtre de l’Atelier, dans le XVIIIe arrondissement. C’est une très belle salle, nous sommes très heureux de pouvoir nous y produire. Tous nos membres monteront sur scène pendant la soirée pour présenter leur travail et faire découvrir tous ces costumes, toutes ces danses, tous ces chants traditionnels de Serbie. Nous publierons l’affiche avec toutes les informations en février (nous la relaierons sur notre page Facebook, ndlr).

Y a-t-il d’autres événements où nos soutiens qui voudraient découvrir la culture serbe peuvent vous retrouver ? 

Pour le moment, nous avons une soirée prévue le 23 avril. Là aussi, les informations plus précises seront bientôt publiées. Nous espérons vous y voir ! 

Nous essaierons d’y être et invitons tous nos soutiens à s’y rendre également ! Merci beaucoup Dubravka Stijovic pour ce long échange passionnant, bon anniversaire et à bientôt !

Retrouvez Izvor Paris sur leur site ou leur page Facebook.

Photos par Louis Jamin.