Dans les mois qui viennent, Nikola Mirkovic, président de Ouest-Est, repartira dans le Donbass aux côtés des populations civiles victimes de cette guerre qui dure depuis maintenant dix ans. Dix, c’est aussi le nombre de voyages dans le Donbass qu’aura fait Nikola après ce prochain voyage.

À cette occasion, nous lui avons proposé de revenir sur cette décennie d’action humanitaire, en quelques questions.

OE – Pourquoi avez-vous décidé de partir dans le Donbass la première fois, en 2014 ?

NM – Dès le déclenchement du coup d’état de l’EuroMaïdan, en 2013, j’ai compris que les choses allaient mal finir. On voyait s’agiter autour de tout ça les mêmes acteurs qui avaient déjà fait s’effondrer la Yougoslavie : BHL, McCain, etc. Ça ne pouvait hélas que finir en catastrophe. J’ai donc rapidement essayé d’alerter les Français sur ce qui se passait et ce qui allait se passer.

En 2014, quand les événements se sont effectivement accélérés, j’ai senti le besoin d’aider de façon beaucoup plus concrète que simplement en essayant d’alerter les Français. Il m’a semblé évident qu’il fallait que je mette à profit mon expérience de l’humanitaire acquise avec Solidarité Kosovo pour aller sur place et aider concrètement les gens qui souffraient de cette guerre.

OE – Comment avez-vous fait pour vous y rendre ? Aviez-vous des contacts sur place ?

NM – Le premier voyage a été une aventure totale. Je ne connaissais absolument pas la région, je ne parlais pas du tout ni le russe ni l’ukrainien, je n’avais aucun contact sur place. J’ai parlé autour de moi de mon désir d’aller aider sur place et le téléphone arabe a fait son office : on m’a mis en contact avec des Ukrainiens russophones qui voulaient eux aussi partir mais n’avaient aucune expérience humanitaire. Nous avons beaucoup travaillé ensemble pour préparer ce premier voyage, pour pouvoir partir dans de bonnes conditions malgré le fait que la guerre faisait rage là-bas.

Ce premier voyage reste un souvenir très particulier. Nous avons rendu visite à des gens qui vivaient presque au milieu des combats. Il n’était pas rare qu’on entende des échanges d’armes légères, ce qui veut dire que les combats se déroulaient à quelques kilomètres de nous à peine, parfois quelques centaines de mètres. Et ces combats étaient très mobiles : ce n’est que plus tard que la ligne de front s’est plus ou moins stabilisée, ce qui, disons-le, a rendu les choses plus simples pour nous.

Et bien sûr, ce premier séjour a été l’occasion de prendre des contacts sur place, ce qui a facilité le deuxième voyage, et ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui, où nous avons des partenaires de confiance avec qui nous travaillons régulièrement, ce qui nous a permis de rendre notre aide plus précise et plus efficace. C’est eux aussi qui nous ont permit d’envoyer une nouvelle équipe sur place en 2023, en toute confiance.

OE – Quel volume d’aide pensez-vous avoir emporté dans le Donbass en dix ans ?

NM – C’est très difficile à dire, parce que chaque voyage a été l’occasion d’apporter un type d’aide un peu différent : très rapidement, nous avons pu compter sur des relais sur place, que nous contactions avant de partir pour voir avec eux ce dont ils avaient le plus besoin que nous apportions. Une fois ça a été des fours et des frigidaires, une autre fois des brancards pour transporter les blessés dans les hôpitaux, une autre fois encore des climatisations, etc. Si bien qu’il serait absurde d’essayer de compter en « tonnes d’aide apportée », parce que ça ne voudrait pas dire grand-chose… et franchement je n’ai pas du tout pensé à mesurer ça, même approximativement !

Mais ce qui est certain, et dont je suis très fier, c’est que nous avons toujours mis un point d’honneur à donner des choses dont nous savions qu’elles étaient réellement utiles, de façon urgente et parfois vitale ! Bien sûr, nous offrons aussi des petits cadeaux aux enfants que nous rencontrons, mais le plus gros de notre aide a toujours été les choses que j’ai détaillées plus haut et de la nourriture, des médicaments, du matériel de soin, des vêtements, etc. Et « détail » important : tout ce que nous offrons est toujours neuf.

OE – En regardant en arrière, quels souvenirs gardez-vous plus particulièrement des ces dix ans ?

NM – Le premier qui me vient à l’esprit est lors de mon premier voyage sur place. Ça se passe sur la ligne de front de Lougansk, où je suis accompagné par un des commandants, qui sera assassiné quelques semaines plus tard d’ailleurs. On est tout près des combats, on les entend. On descend de notre camion au pied d’immeubles éventrés, les gens, prévenus par nos accompagnateurs, sortent des caves où ils ont organisé leur quotidien à l’abri des combats. J’ai été frappé par ce que vivaient ces gens, dans l’indifférence la plus totale de l’Ouest. Nous avons fait notre distribution, c’est un très beau moment, nous avons quelques discussions, beaucoup de sourires qui réveillent les visages tendus par des mois de guerre. Des enfants qui courent autour de nous, heureux de cette rupture dans leur quotidien. Puis à un moment on voit que l’ambiance change : les bruits des combats se font plus pressants, les gens qui nous accompagnent accélèrent leurs mouvements. Je comprends qu’il va falloir finir la distribution et partir avant que ça ne tombe. Et malgré ça, les gens restent très calmes, malgré les visages qui se referment un peu : ils récupèrent le matériel qu’on leur a apporté calmement, sans désordre, puis redescendent dans leurs abris. J’ai été impressionné par leur résilience.

« Alors que les combats approchaient, ils sont redescendus dans les abris installés dans leurs caves, calmement. J’ai été impressionné par leur résilience… »

Nikola Mirkovic,
souvenir de son 1er séjour dans le Donbass

 

 

L’autre chose à laquelle je pense spontanément, c’est les visites des écoles. À chaque fois, quel que soit le contexte plus précis du moment où nous allons les voir, nous avons droit à un petit spectacle des élèves. C’est parfois même un peu difficile à gérer parce que ça veut dire qu’il faut prévoir ce temps-là à chaque visite, alors que les journées sont déjà trop courtes… Mais voir ces enfants chanter avec tout leur coeur pour ces visiteurs venus de loin, si fiers et heureux de pouvoir partager leur culture avec nous, c’est toujours très touchant et ça justifie immédiatement toutes les difficultés qu’on a pu rencontrer pendant les préparatifs, pendant le voyage lui-même parfois. Ça rappelle aussi la chance qu’on a de ne pas connaître ces situations terribles et de pouvoir vivre en paix chez nous.

OE – Qu’est-ce qui vous motive à continuer cette action, alors qu’après dix ans vous pourriez penser avoir fait votre part ?

NM – Ce qui me rend le plus heureux, sans aucun doute, c’est l’immense collection de sourires que j’ai accumulée dans ma mémoire, tous les sourires des gens que nous avons aidés. C’est pas grand-chose, en apparence, un sourire, mais dans des circonstances comme celle d’un voyage humanitaire dans un pays en guerre, ça devient quelque-chose d’incroyable, de merveilleux. Et souvent, ce cadeau nous est fait alors que nous avons l’impression de ne pas pouvoir faire assez, de n’apporter que le strict minimum ; et pour eux, c’est déjà énorme, et ils nous donnent ces sourires dont j’espère que je ne me lasserai jamais. Et ça, c’est une joie incroyable.

Et cette joie, nous avons aussi la chance de pouvoir la partager avec tous ceux qui nous soutiennent : à chaque retour, raconter ces sourires à nos soutiens, essayer de leur faire vivre ce que nous avons vécu, c’est là aussi une joie immense, qui fait que 10 ans plus tard j’ai toujours autant envie de repartir là-bas pour y apporter avec moi l’amitié de nos soutiens et leur rapporter en retour celle des personnes que nous avons visitées.

OE – Et inversement, y a-t-il des choses que vous regrettez ?

NM – Mon plus grande regret, c’est bien sûr que cette guerre existe, et qu’elle ne semble pas près de s’arrêter. Voir deux peuples frères – frères entre eux, et frères avec nous – se déchirer, à quelques heures d’avion de chez nous, c’est évidemment une immense souffrance. Et cette souffrance cohabite à chaque voyage avec les grandes joies dont nous parlions tout-à-l’heure : un voyage dans le Donbass, c’est une montagne russe permanente, avec le coeur qui se serre et se dilate tour à tour…

Mais j’ai aussi le souvenir de nombreuses personnes qui sont venues nous demander une aide que nous n’avons pas pu leur apporter. Ça aussi, c’est terrible. Je me souviens par exemple d’une directrice d’école qui nous avait demandé de l’aide pour reconstruire son toit qui avait été soufflé par une explosion. Un projet qui dépasse largement nos capacités. Il a fallu que je lui explique que je ne pouvais rien faire pour elle. Il y a plusieurs moments comme celui-ci auxquels je ne peux repenser sans un pincement au coeur ; des gens arrivant trop tard alors que la distribution venait de se finir et que nous nous apprêtions à partir, d’autres repartant sans le médicament dont ils avaient besoin parce que nous ne l’avions pas trouvé en pharmacie, etc. C’est toujours déchirant de ne pas pouvoir aider des personnes qu’on est venues aider. Et en même temps c’est aussi un encouragement pour essayer de faire toujours plus !

OE – Un mot sur le prochain voyage ?

NM – Nous sommes actuellement en train d’échanger avec nos partenaires sur place pour définir quels sont les besoins les plus urgents auxquels nous pourrions répondre cette fois-ci. Nous contactons des hôpitaux, des écoles, des orphelinats, et écoutons leurs besoins. Bien sûr, l’objectif sera comme toujours de venir en aide aux plus démunis, les enfants et les malades. Nous espérons pouvoir arriver avec un maximum d’aide pour apporter notre soutien à tous ces gens qui vivent en guerre depuis maintenant 10 ans.

Nous comptons sur votre soutien pour nous permettre de faire de ce dixième voyage un dixième succès !